LE monde Connu de Edward P

Dans son premier roman, Edward P. Jones prend le parti de nous raconter un pan bien particulier et occulté de l'histoire de l'esclavage dans l'Amérique du milieu du XIXe siècle. Avant la guerre de Sécession, dès les années 1850, les blancs n'étaient en effet pas seuls à être propriétaires d'esclaves. Certains noirs – esclaves libérés – étaient eux aussi propriétaires d'autres esclaves noirs sur leurs propre domaine. De ce point méconnu de l'Histoire, Jones nous entraîne dans une aventure dense et complexe où les notions de moralité et de liberté sont remuées autant que les vies de chacun des protagonistes mis en jeu.

Tout commence par la mort d'Henry Townsend, esclave affranchi, à la tête d'une plantation en Virginie et d'une trentaine d'esclaves. A l'origine de sa liberté, il y a Augustus Townsend, son père. William Robbins, son maître d'alors, riche et puissant aristocrate, suivant à la lettre les règles édictés par l'esclavage, autorise tout de même Augustus à se louer en dehors de sa propriété. Ainsi, gagnant assez d'argent, il finit par acheter sa liberté, puis celle de sa femme et de son fils, Henry, esclaves également de Robbins. Henry grandit donc en homme 'libre' puis, épouse une femme noire libre, Caldonia, personnage également complexe, que ses passions et croyances rendent d'autant plus confuse. Sous la tutelle de William Robbins, qui a maintenant une affection quasi paternelle pour son ancien esclave, Henry adopte le style de vie des blancs de la bourgeoisie du comté. À son tour, il achète des esclaves pour cultiver ses terres. Mais qu'on ne s'y trompe pas : il n'est pas le seul propriétaire noir à posséder des esclaves. En Virginie, dans le comté de Manchester, sur les trente quatre familles de noirs libres, huit possédaient des esclaves pour leurs plantations. Par contre, cette 'réussite' et l'achat de son premier esclave, Moïse, plongeront ses parents dans le plus grand effroi.

Et l'on sent bien déjà l'envergure de ce roman. Ici, point de martyr. Personne n'est pleinement bon ou totalement méchant. Bouleversant les codes de l'ordre établi, Jones ne pointe pas du doigt le propriétaire blanc comme mal absolue et ne victimise pas l'esclave noir. Dépassant le stéréotype, il nous dévoile ce que sont les hommes. D'ailleurs prend-il le temps, sans pour autant que cela ne lasse, de caractériser nombre d'entre eux. Que ce soit le shérif Skiffington, Moïse l'esclave, Robbins le maître blanc, Henry le maître noir, Caldonia sa femme, les esclaves, les surveillants,… car chaque histoire mérite d'être racontée, chaque histoire a sa place dans l'Histoire.

Le monde connu s'ouvre donc sur la mort de Henry et la manière dont tout un chacun dans le comté en est affectée. La direction de la ferme échoie à sa femme. Mais la tache n'est pas simple dans un monde en pleine décomposition. Maintenir l'ordre n'est pas chose facile et malgré le soutien qu'on lui apporte, Caldonia peine à conserver son autorité. Les esclaves craignant fortement pour leur relatif confort. Elle finira par céder aux avances de Moïse, contremaître, premier esclave d'Henry, qui compte bien, au travers de cette tentative de séduction, gagner sa propre liberté. Mais bien vite, les événements se s'enchaînent, les évasions se succèdent, entraînant inexorablement le désordre dans ce petit monde clos. Les esclaves autrefois de confiance deviennent suspects, des hommes libres sont de nouveau vendus et bien vite, de querelles de familles en querelles de voisinage, le comté de Manchester se retrouve déchiré par le conflit, son territoire divisé entre d'autres comtés.

Prolixe, Jones joue du roman et de sa prose. Tantôt familière, et même parlée, l'écriture transgresse les codes pour revenir aussitôt dans un langage plus soutenu, attachant son lecteur aux clefs du roman. L'esclavage pervertit tout ceux qui le côtoie de trop près. Chaque personnage ici en fait la découverte, Henry le premier, se convainquant d'être meilleur maître que les blancs dans cet esclavage qu'il reproduit. Ses présupposés se déforment, et l'on atteint le point crucial du livre quand il s'agit de confronter l'esclavage aux concepts de liberté, de justice, ou encore d'humanité. Dans le comté, chacun est moralement compromis. Ici, personne n'est hors la loi, mais personne ne peu non plus se revendiquer héro. Les bonnes intentions affluent, mais aucune n'est réellement pure. Les esclaves eux-mêmes négocient leur rêve de liberté contre de bien pauvres réconforts.

Et Edward P. Jones de traverser les ages et les frontières d'état de la grande Amérique, mettant bout à bout de brèves scènes qui s'agglutinent une à une pour ne plus former qu'un tableau d'une complexité morale étourdissante. Et ce petit monde de tenter de se maintenir face à l'effondrement imminent. D'ailleurs, ce n'est sans doute pas un hasard si le roman se clos sur une lettre datée du 12 avril 1861. Fin d'un monde, fin d'une histoire qui pourtant laisse des marques indélébiles sur la carte. Cinq jours après, la Virginie décidait de soumettre la sécession à référendum.

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